Tout commence par une légende venue d’Internet.
Klaus Schwab, fondateur du forum économique mondial (ou WEF pour World Economic Forum), dont le but est de rassembler les grands de ce monde pour parler de sujets d’avenir (climat, inégalité, etc) aurait prononcé : « Vous ne posséderez rien et vous serez heureux ».
Ça serait lors de l’édition 2020 du WEF, en pleine promo de son bouquin « The Great Reset » (en français, La Grande Réinitialisation), qu’il aurait prononcé cette phrase, sur fond de nouvel ordre mondial, domination du monde, etc. Eh bien, tout ça n’est qu’un mélange de vérités monté par des complotistes pour générer des clics.
En fait, cette phrase ne vient pas de Schwab mais d’Ida Auken, ex-ministre de l’Environnement danoise et membre du WEF, qui l’a glissée dans un article en 2016. Oui, les créateurs de buzz ont creusé loin.
Son texte, intitulé « Welcome to 2030: I own nothing, have no privacy, and life has never been better » (Bienvenue en 2030 : Je ne possède rien, je n’ai pas de vie privée, et la vie n’a jamais été meilleure), évoque un futur où on loue tout, dans une économie de services. De là aux théories du complot, il n’y a qu’un pas.
Ne rien posséder, une absurdité totale ?
Évidemment, quand cette histoire déformée a débarqué sur Internet, les gens se sont révoltés. « Quoi ? Ne rien posséder ? Mais c’est n’importe quoi ! Tu crois que je vais payer à vie pour au final ne rien avoir ?! »
Très honnêtement, ma première réaction a été la même, mais en y repensant… mon avis a peut-être évolué.
Dans un monde qui devient de plus en plus anti-matérialiste — comme je l’expliquais pas plus tard dans mon précédent article — que ce soit pour des raisons écolo, économiques ou juste pour vivre plus simplement avec le minimalisme… Est-ce vraiment si dingue de ne rien posséder ?
Voici une tentative de réponse en explorant les différents aspects.
Posséder de l’immobilier
La possession préférée des Français, l’immobilier.
C’est d’ailleurs grâce à ce patrimoine que nous sommes rentrés dans le top 10 des peuples les plus riches au monde.
La majorité des Français est encore formatée par l’idée que la pierre est une valeur sûre et qu’être propriétaire, c’est avoir un pied dans la richesse. C’est compréhensible au vu des prix affichés, alors que jusqu’aux années 2000, même un salaire moyen donner accès à la propriété.
Les deux exemples souvent cités, et qui, par un heureux hasard, ont vu le jour la même année (1987), sont les séries Les Simpson et Mariés, deux enfants. Dans les deux, c’est toujours papa qui bosse : l’un est inspecteur de sécurité dans une centrale nucléaire, l’autre vendeur de chaussures. Et à l’époque, personne ne trouvait ça dingue qu’avec un seul salaire moyen, on puisse être proprio et nourrir toute la famille.
Aujourd’hui, les zones les plus prisées sont surtout occupées par des héritiers, petits ou grands, ou par ceux qui ont décroché de gros salaires dès le début de leur carrière. Les autres ? Ils se retrouvent à acheter loin et à rallonger leurs trajets pour aller travailler, un enfer. Alors, est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle ?
Par exemple, la fin de l’article lié ci-dessus, il est expliqué qu’un bien immobilier n’a rapporté qu’1% depuis 2019. Un Livret A à 3% aurait fait mieux !
Peut-être qu’il est temps de reconsidérer l’idée que la propriété immobilière est le Graal.
Mon expérience de propriétaire après une décennie
Ça fait pile 10 ans que je suis propriétaire de mon logement.
Comme je l’expliquais dans mon article sur les coachs : Souviens-toi qu’un conseil est toujours donné du point de vue de celui qui le donne. Alors voici mon point de vue sur l’immobilier.
Je ne cherche pas à m’enrichir avec l’immobilier. Ceux qui achètent et rénovent à petit prix pour revendre au max, respect à eux, mais ce n’est pas pour moi. Et la location ? Pareil. Au mieux, c’est une charge mentale, au pire, c’est des emmerdes de loyers impayés.
Oui, je sais, on peut déléguer et prendre des assurances, mais pour gagner combien au final ? Je connais quelques propriétaires qui ont jeté l’éponge et revendu parce que c’était chiant à gérer.
Moi, j’aime la liberté avec un peu de stabilité tout en ayant le moins de choses à penser. J’ai donc acheté mon logement pour y vivre et y rester un peu, sauf que dix ans, ça commence à être trop stable.
Bref, garde simplement en tête que tous les paragraphes suivants sont basés sur cette vision des choses.
Les seules bonnes raisons de devenir propriétaire
D’abord, le classique : être en couple et fonder une famille. Si tout roule. La stabilité est là pour un bout de temps, dans ce cas, il est donc logique d’acheter son logement.
Ensuite, il y a le scénario « mi-vie » : tu as entre 40 et 50 ans, la retraite se profile dans 20-25 ans. Avec la baisse de revenus qui s’annonce, être locataire à ce moment-là, c’est un peu risqué. Autant être chez toi, bien au chaud, sans loyer qui te stresse.
Venons-en à l’argument du patrimoine. Si tu as un joli pactole de côté, c’est tentant de le transformer en pierre pour éviter les aléas des banques ou de la Bourse. Mais attention, si ta vie est un peu en mode nomade, ou que tu as besoin de flexibilité, être proprio, ça peut vite être une galère.
Enfin, si tu achètes juste pour transmettre un héritage à tes enfants, sache que l’assurance-vie fait très bien le job. Pas de droits de succession jusqu’à 152 500 €, et c’est bien plus simple pour eux que de devoir gérer la vente d’une maison.
Tous les frais d’une propriété immobilière
Les premiers frais qui nous tombent dessus sont les fameux frais de notaire. Allons droit au but.
Tu achètes un bien à 250 000 € ? Alors, rajoute une petite cerise de 7 à 8 % dans l’ancien (environ 17 500 €) ou 2 à 3 % dans le neuf (environ 6 250 €). Donc, ton bien à 250 000 € te coûtera finalement 267 500 € ou 256 250 €. Ces frais sont bien à prévoir quand tu négocieras ton prêt.
Au premier abord, on croit surtout que cela sert à sécuriser la transaction et prouver juridiquement qu’on est le nouveau propriétaire, mais cette raison ne représente qu’environ 10% des frais. En fait, 80% des frais de notaire sont des taxes reversées à l’État. Quel plaisir…
C’est à cause de ces frais qu’il est souvent conseiller de garder son bien en moyenne 5 ans – tout dépendra du prix des locations alentours – avant de revendre, sinon ça serait perdre de l’argent.
Et comme la France est championne de taxe, tu te doutes bien que ce n’est que le début de la tonte.
La taxe des « riches » propriétaires
Souviens-toi, en 2018, notre cher Macron a lancé la réforme de la taxe d’habitation. Petit à petit, elle s’est allégée, jusqu’à carrément disparaître au 1er janvier 2023. Pour les résidences principales tout du moins.
Mais à côté, la bonne vieille taxe foncière, celle qu’on paie quand on est proprio, est toujours bien là.
Même en demandant à une intelligence artificielle, je n’ai jamais compris la différence subtile entre les deux, puisque les deux servent à financer des services publics locaux, directement liés à la vie des habitants. C’était donc normal qu’il n’y en ait qu’une.
Cependant, de mon point de vue, c’est la taxe foncière qui aurait dû disparaitre. Que tu sois locataire ou propriétaire, tout le monde profite des infrastructures de la ville, c’est normal d’y contribuer !
Ce qui est d’autant plus énervant, c’est qu’on savait pertinemment dès le départ que la suppression de la taxe d’habitation serait reportée gentiment sur… la taxe foncière. Dans quelques années, la taxe foncière sera aussi chère que les deux taxes combinées d’avant. Quelle arnaque !
Tu reprendras bien encore un peu de taxe ?
La taxe d’entretien
Bon en vrai, le terme exact est « charges », mais je voulais que ça colle aux autres titres.
En appart, tu paies les charges de copropriété et le syndic, en maison tu t’occupes de ton joli jardin (ou tu pleures en voyant l’herbe pousser). Dans les deux cas, un jour ou l’autre, ravalement de façade et toiture te rappelleront que le temps passe.
Ensuite, y a les réparations classiques : fuite d’eau, changement de chauffe-eau, fenêtres qui vieillissent, plomberie qui lâche… Et n’oublie pas d’entretenir tes équipements (chaudière, clim, etc.), avec parfois des contrôles annuels obligatoires en bonus.
Bref, t’as compris : être proprio, c’est pas juste avoir un chez-soi, c’est aussi une sacrée charge mentale avec toutes ces responsabilités !
Mon ressenti actuel en tant que propriétaire
Parfois je ressens l’envie de faire comme ces retraités américains qui vendent tout pour vivre à l’année sur un bateau de croisière, parce que c’est moins cher qu’une résidence de retraite. Sauf que si tout se passe normalement, il me reste encore la moitié de ma vie, ce n’est donc pas envisageable pour moi. Et je ne te parle même pas de l’empreinte écologique de ce projet.
De façon plus cynique, parfois je m’imagine au début du film Fight Club, quand le personnage débarque au pied de son immeuble et aperçoit son appartement en cendres. Mes voisins me diraient « il ne reste plus rien… », et comme dans le film je conclurais par « c’est lorsqu’on a tout perdu qu’on est libre de faire tout ce qu’on veut » parce que « tout ce qu’on possède finit par nous posséder » … Bon évidemment, je ne me le souhaite pas, mais tu as compris l’idée.
Pour revenir à du plus terre à terre, j’ai déjà réfléchi à tout revendre et tout placer en bourse en visant un rendement atteignable de 5%. Sur une année, ça me ferait un petit salaire, mais pas de quoi s’arrêter de travailler.
Maintenant, quand est-il des autres types de possessions ?
De la possession matérielle
Comme pour l’immobilier, la possession matérielle dépend vraiment du point de vue. Voici ma petite anecdote à ce sujet.
Je lisais récemment le blog d’une femme dans une démarche assez proche de la mienne, l’aspect écolo en moins, malheureusement. Elle semble un peu plus âgée que moi, avec une meilleure situation financière.
Dans l’un de ses articles, elle parle d’un livre qui lui a fait comprendre qu’elle voulait souvent un objet, non pas pour sa valeur réelle, mais pour l’image qu’il renvoyait aux autres. C’est un des gros problèmes de notre société.
Reprenons une idée d’Aurélien Barreau : plutôt que de se faire désirer pour l’acquisition du dernier iPhone, une superbe voiture ou une oeuvre d’art hors de prix, pourquoi ne pas plutôt se faire désirer par une invitation à vivre des expériences tout en faisant le bien autour de soi ?
Je ne dis pas qu’il faut arrêter d’acheter des trucs. Si t’es passionné par les montres anciennes, vas-y, complète ta collection, fais-toi plaisir. Tant que tu le fais pour toi et pas juste pour impressionner les autres.
Je pense que, toi qui lis ce blog, tu as probablement déjà eu cette prise de conscience. Mais je voulais remettre un peu les choses dans leur contexte avant d’aller plus loin.
Une économie de service n’est qu’abonnement et dématérialisation
L’économie de services est déjà bien en marche :
- Avant il fallait absolument avoir un vélo pour se déplacer à vélo, maintenant il y a des vélos disponibles un peu partout (Velib à Paris, Vélo’v à Lyon, etc)
- Avant on achetait/louait des DVDs (ou des cassettes pour les plus vieux), aujourd’hui on a un abonnement Netflix
- Avant on achetait des logiciels et jeux des vidéos en boite, maintenant on s’abonne ou on les télécharge. (On peut même prendre un abonnement pour avoir accès à un PC.)
On ne possède plus grand-chose, mais au moins, ça libère de la place chez soi. Qui se souvient des étagères blindées de DVDs ?
Évidemment, tout n’est pas rose : le partage ? Compliqué. La revente ? Impossible. On peut tout de même se consoler : moins de biens physiques, c’est moins de ressources utilisées, et je ne dis pas ça au hasard.
Théoriquement parlant, un bien physique que tu n’utilises pas 100% du temps, est une perte de ressource. Alors, pourquoi ne pas rentrer dans le jeu et louer tes affaires sur des sites spécialisés quand tu ne t’en sers pas ? De mon point de vue, c’est ça l’avenir.
Avec la raréfaction des ressources, ça sera du luxe de fabriquer du neuf pour tout le monde. Donc la mutualisation des objets deviendra une nécessité.
Verdict, sommes-nous destinés à ne rien posséder ?
J’ai évidemment lu l’article à l’origine de cette polémique et de mon point de vue, ce qui y est décrit, n’est pas si déconnant. Il y a pas mal de positif, avec beaucoup de choses gratuites, mais un gros point noir : la perte de la vie privée. Est-ce que ça arrivera ? J’en doute.
En tout cas, pas de notre vivant, ou alors les choses auront évolué bien plus vite qu’on ne peut l’imaginer.
Le plus probable, c’est que l’on continuera de posséder ce qu’on utilise au quotidien. Les gens finiront par comprendre que posséder tel objet ne garantit pas le bonheur. Du coup, les services et la location continueront à prendre de l’ampleur.
Ce que je dirais à mon moi d’il y a dix ans
C’est trop facile de dire : « si j’avais su », mais si je pouvais retourner dans le passé, voilà ce que je dirais au Xavier d’il y a dix ans.
Ne te mets pas la pression à être propriétaire tout de suite, vis d’abord. Prends une petite location meublée. Petite, parce que tu n’as pas besoin de beaucoup d’espace, si tu vis vraiment, tu passeras ton temps dehors. Meublée, parce que ça t’évitera des déménagements et encore une fois, si tu vis vraiment, tu seras amené à bouger régulièrement.
Nous sommes en 2014, tu as déjà conscience que le bonheur n’est pas matériel, c’est déjà ça. L’argent que tu ne dépenseras pas à acheter n’importe quoi, investis-le quelque part. La bourse c’est plus simple et moins risqué que ce que l’on croit. Non, ce n’est pas un truc réservé aux riches et non tes impôts ne vont pas exploser parce que ça te rapporte de l’argent.
Dans quelque temps il y aura l’explosion de la crypto monnaie, mets aussi un petit billet dessus. Oui, là c’est purement spéculatif, mais tu verras que ça t’offrira une partie de la liberté financière. En contrepartie, investis dans l’écologie.
Encore une fois, le matériel n’est pas si important que ça. L’important c’est surtout les gens que tu rencontres et ce que tu vis, alors vas y fonce !