De nos jours, les jeunes veulent un travail facile.
Ils veulent beaucoup de temps libre et beaucoup d’argent.
Mais ils ne s’intéressent pas à acquérir du savoir-faire.
Quand on travaille dans un endroit comme chez Jirō, on s’investit pour toute une vie.
Qui est Jirō Ono ? (et pourquoi son histoire nous intéresse)
Jirō Ono est un shokunin, un artisan japonais qui consacre sa vie entière à un seul savoir-faire. Dans son cas : le sushi.
Même s’il est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs chefs sushi au monde, son histoire commence très loin de la réussite.
À l’âge de 9 ans, pour des raisons familiales, il quitte le foyer et part seul à Tokyo.
À force de persévérance, des années plus tard, il ouvrira un restaurant minuscule de dix places – qu’il dirige toujours – au fond d’une station de métro tokyoïte.
Un lieu si discret qu’on pourrait passer devant sans le remarquer. Et pourtant, Sukiyabashi Jirō, son restaurant situé dans le quartier de Ginza à Tokyo, est devenu une référence mondiale.
La fortune personnelle de Jirō Ono est aujourd’hui estimée à environ 9 millions de dollars.
Une question s’impose alors naturellement :
Comment partir de presque rien, vivre toute sa vie avec sobriété, et bâtir une telle richesse sans jamais la rechercher ?
C’est précisément ce paradoxe que nous allons explorer ici.
À noter : cet article est inspiré du documentaire Jirō Ono Dreams of Sushi (2011), qui offre un regard fascinant sur la discipline, la rigueur et la vision du monde de Jirō Ono.
La vie simple de Jirō Ono
La vie de Jirō Ono n’a jamais été facile, mais elle est profondément simple. Il faut distinguer les deux.
Une vie facile cherche à réduire l’effort
Une vie simple cherche à réduire la dispersion
Comme le disait Rhonda Hetzel, autrice de Down to earth :
« Une vie simple n’est pas forcément facile. S’occuper d’un potager, c’est simple, mais pas facile. »
La vie de Jirō n’a pas été facile, mais elle est simple dans un sens radical : il n’y a, au fond, presque aucune question à se poser.
Pour citer le critique gastronomique Masuhiro Yamamoto :
« Jirō répète chaque jour la même routine. Tout ce qui lui importe est de faire mieux qu’hier. »
La vie de Jirō est simple parce qu’il ne se disperse pas. Son activité est claire : faire des sushis. Point.
Alors oui, cela sous-entend de multiples tâches – préparer le poisson, cuire le riz, nettoyer la cuisine – mais toutes convergent vers un seul objectif.
C’est précisément cette simplicité, répétée jour après jour, qui augmente la maîtrise, puis la valeur perçue et donc le prix de la prestation finale.
La richesse patrimoniale de ce chef japonais
Dans l’introduction, j’évoquais une fortune estimée à environ 9 millions de dollars pour Jirō Ono (source).
Cette richesse ne vient ni de placements financiers, ni de franchises, ni d’un empire de restaurants. Elle vient d’abord de son travail.
Aujourd’hui, un repas chez Sukiyabashi Jirō coûte au minimum 420 dollars.
À cela s’ajoutent des revenus plus discrets : la vente de riz et d’accessoires pour sushis via le site familial.
On imagine raisonnablement que cette activité a été déléguée, non pas par désintérêt pour l’argent, mais pour préserver la simplicité de son activité principale.
La richesse de Jirō Ono n’est donc pas le fruit d’une diversification permanente.
C’est un patrimoine bâti sur une seule chose et poussée à son plus haut niveau d’exigence.
La loi de l’attraction version Jirō Ono
À un moment du documentaire, Jirō Ono prononce cette phrase :
« Le profit ne nous intéresse pas. Tout ce que je veux, c’est préparer les meilleurs sushis. »
Je pense que cette phrase est parfaitement sincère.
L’objectif premier de Jirō n’a jamais été de devenir riche. Son attention porte sur le geste, la matière première, la répétition.
De ce fait, sans le vouloir, il applique l’un des principes souvent associés à la loi de l’attraction : cesser de se focaliser sur le résultat final.
Alors oui, l’analyse peut sembler ésotérique, mais on peut aussi la formuler de manière très rationnelle.
Quand on cesse de courir après un objectif abstrait – argent, reconnaissance, statut – on concentre son énergie sur ce qui est sous notre contrôle immédiat : le travail bien fait.
C’est exactement la même idée que lorsqu’on dit : « L’amour arrive souvent quand on ne le cherche plus. »
Rien de magique ici. C’est simplement qu’à ce moment-là, on arrête de se crisper. On agit davantage en alignement avec nos envies et nos valeurs.
Il en va de même pour la richesse.
Quelles leçons tirées de la vie de Jirō Ono ?
Évidemment, les enseignements suivants ne sont pas applicables à tous les métiers.
Si tu es hôtesse de caisse ou agent de nettoyage, tu auras beau essayer de faire mieux qu’hier, ça ne te fera pas gagner plus d’argent.
En revanche, pour les métiers plus intellectuels, le salaire augmentera avec l’acquisition de savoirs difficiles à trouver ailleurs. Des connaissances parfois longues à maîtriser.
Quoi qu’il en soit, voici les leçons que l’on peut tirer de la vie de Jirō Ono.
Se consacrer à une seule chose (vraiment)
Jirō est un expert en sushis.
Son vendeur de thon travaille uniquement avec du thon.
Son fournisseur de crevettes ne vend que des crevettes.
Chacun est expert de son domaine.
En se consacrant à une et une seule chose, on accumule toute la connaissance possible dans un périmètre donné. On arrête de survoler, on approfondit, on devient un expert.
Or, c’est précisément cette expertise qui permet, à terme, de se faire payer très cher pour faire une chose que peu de gens savent faire aussi bien.
Faire mieux qu’hier : le progrès invisible
« Toujours chercher à s’améliorer. Toujours s’évertuer à élever son art. C’est ce qu’il m’a appris. » Ce sont les mots du fils de Jirō Ono.
Il explique également dans le documentaire :
« Nous ne cherchons pas à être exclusifs ou élitistes. Les techniques que nous utilisons ne sont pas secrètes. C’est seulement une question d’effort et de répétition des mêmes gestes, jour après jour. »
« Certaines personnes naissent avec un don, mais pour laisser une empreinte dans le monde, il faut avoir du talent. Pour le reste, il faut travailler dur. »
Jirō Ono lui-même le rappelle :
« Même à mon âge, je découvre encore de nouvelles techniques. Quand vous croyez que vous savez tout, vous réalisez que vous aviez complètement tort. »
Le progrès chez Jirō n’est ni spectaculaire ni visible à l’œil nu. Il est discret, cumulatif, presque imperceptible.
Mais sur des décennies, il fait toute la différence.
Brûler ses vaisseaux
Jirō Ono a deux fils, l’un d’eux a ouvert son propre restaurant.
Au moment de partir, son père lui a dit :
« Si tu pars, tu ne pourras pas revenir. Tu dois faire ton propre chemin. »
Avant d’ajouter :
« Aujourd’hui, les parents disent à leurs enfants : tu peux revenir si ça ne marche pas. Quand les parents disent des choses stupides comme ça, les enfants deviennent des ratés. »
Ces mots sont durs et pourtant, je pense que Jirō Ono touche à quelque chose d’essentiel.
Quand on sait qu’il n’existe pas de plan B confortable, que le retour en arrière n’est pas une option, alors toute l’énergie se concentre sur une seule chose : avancer.
Quand la seule issue est de réussir, on finit par réussir, d’une manière ou d’une autre.
Cette idée est connue sous le nom de principe de « brûler ses vaisseaux » : se placer volontairement dans une situation où l’échec n’est plus une option.
Le travail, c’est la santé
À l’époque du documentaire, Jirō avait 85 ans. En 2025, il a eu 100 ans et est toujours en activité (source).
Oui, Jirō continue de servir des sushis à 100 ans !
Pour comprendre cette philosophie, voici les mots du chef cuisinier :
« Si je m’arrête de travailler, mon corps va décrépir. Quand arrêter ? Un métier pour lequel vous avez travaillé si dur ? Je n’en ai jamais eu assez. Je suis tombé amoureux de ce métier et j’y ai dédié ma vie. Malgré mon âge, je ne songe pas à la retraite. Voilà comme je me sens. »
Évidemment, cette vision ne s’applique pas à tous les métiers, mais elle éclaire un phénomène bien connu : beaucoup de retraités dépriment non pas à cause de l’âge, mais à cause de l’absence d’utilité.
Même après la retraite, continuer à avoir une activité, un rôle, une raison de se lever le matin est sans doute l’un des meilleurs moyens de bien vieillir.
Les femmes et le divertissement ?
Le documentaire Jirō Ono Dreams of Sushi est un récit de détermination et d’autodiscipline, mais c’est aussi de manière frappante, un monde dépourvu de divertissement et de femmes.
La femme de Jirō, la mère de ses enfants, est à peine évoquée. Pourtant, on comprend qu’ils sont toujours ensemble.
Vouloir s’améliorer, viser la perfection, construire une vie riche de sens : oui.
Mais vivre uniquement pour son œuvre, au détriment du reste, est un équilibre fragile.
La richesse, si elle n’est pas accompagnée de moments de plaisir, de liens humains et de divertissement, reste incomplète.
La vie de Jirō Ono n’est pas (forcément) un modèle à copier
Mais elle est un excellent point de départ pour réfléchir à la nôtre.
J’écris pour celles et ceux qui ont compris que :
- accumuler toujours plus ne rend pas forcément plus heureux
- travailler moins, mais mieux est souvent plus efficace que courir plus vite
- la richesse n’a de sens que si elle s’accompagne de temps, de sobriété et de lucidité
Dans la newsletter, je partage :
- des réflexions comme celle-ci, difficiles à trouver ailleurs
- des idées concrètes pour faire fructifier ses revenus sans vendre son âme
- des pistes pour consommer moins, vivre mieux, et profiter davantage du quotidien
et parfois, simplement, un autre regard sur notre rapport au travail, au temps et à la richesse
Pas de promesse magique.
Pas d’obsession de la réussite.
Pas de discours creux.
Juste un itinéraire possible vers une vie plus simple et réellement riche.
Si cet article t’a fait réfléchir, alors tu es exactement au bon endroit.